01/05/2018
Mai 68 : la lutte des classes devenue objet de collection !
L’Histoire est parfois ironique… Alors que nos parents et grand-parents se révoltaient contre l’ordre établi en il y a 50 ans, notre génération de rebelles en manque de rébellion collectionne aujourd’hui à prix d’or les affiches symboliques de cette lutte. Faute d’avoir vécu un tel évènement, autant s’en acheter un souvenir ! Comment en sommes-nous arrivés ici ?
1968, apogée des 30 glorieuses, berceau de la société de consommation naissante. Toute une génération d’étudiants baby-boomers se révolte contre l’ordre établi. La manifestation se globalise, elle est économique, politique, sociale, culturelle. Elle sera également un terrain de jeu artistique pour les étudiants des Beaux-Arts et de l’Ecole des Arts Décoratifs.
Le 14 mai, l’École Supérieure des Beaux-arts de Paris est occupée. Un journal de grève est créé, des assemblées générales sont organisées… Le lendemain voit la naissance de l’Atelier populaire. De jeunes artistes en devenir utilisent la technique de sérigraphie par pochoir pour tirer rapidement 1000 à 2000 exemplaires de leur création et les coller dans les rues de la capitale.
La Liberté guidant le peuple, symbole de démocratie recyclée par les étudiants des Beaux-Arts. La sérigraphie est très limitée dans sa palette de couleurs et finesse des détails. Ce minimalisme imposé donnera naissance à des affiches d’autant plus percutantes !
Une violente beauté ! Mai 68 est également une contestation du sexisme latent d’une société patriarcale. Prix de l’affiche aux enchères : 3000 €…
Le pavé devient vite un symbole du mouvement contestataire.
Désobéissez !
Les médias font de vous un mouton.
La Presse tout comme la radio télévision sont la voix de la police.
L’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française), symbole du monopole de l’Etat (et donc de la police) sur la radio et la télévision.
Principal cible du mouvement, le général De Gaulle, sauveur de la Patrie 20 ans plus tôt, mais désormais vieillissant et dépassé par les évènements.
L’ombre du général réduit la jeunesse au silence.
Furieux de la tournure des évènements, De Gaulle déclare le 19 mai devant ses ministres « La réforme, oui ! La chienlit, non ! » L’expression déjà désuète à l’époque désigne le désordre.
De Gaulle et le simulacre de démocratie.
Les rouages du pouvoir.
La croix Gaulloise vous rentre dans le cerveau.
La mutation de la croix Gaulloise en croix gammée.
De Gaulle serait-il de la même trempe du dictateur qu’il a combattu ?
Daniel Cohn Bendit, alias Danny le Rouge, est le premier visage mis en avant par le mouvement contestataire. Le 2 mai 1968, l’éditorial de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute indique : « Ce Cohn-Bendit, parce qu’il est juif et allemand, se prend pour un nouveau Karl Marx » et « ce Cohn-Bendit doit être pris par la peau du cou et reconduit à la frontière sans autre forme de procès ». Dans L’Humanité du lendemain, Georges Marchais dénonce « ces groupuscules dirigés par l’anarchiste allemand Cohn-Bendit ». Cette affiche est une réponse instantanée à ces propos.
Un recyclage pour la bonne cause
L’usine au poing levé, symbole détourné par cette affiche en soutien à la lutte contre le sida en 2003, par Benjamin Lecourt.
Quelques détournements artistiques 50 ans plus tard
Marion Nail, graphiste et illustratrice
« En 1968 on cherchait à sortir l’art de l’académisme et des musées. Qu’il devienne synonyme de renouveau et de jeunesse. On voulait faire descendre l’art dans la rue, le sortir de son carcan et l’imposer au regard de tous.
En 2018 les images sont partout. Dans la rue, dans les écrans, sur les réseaux sociaux. Mais cette variété et cette disponibilité des supports ne rime finalement pas avec un art plus démocratique et accessible à tous. Nos yeux sont submergés et finalement saturés. Sommes-nous capables de faire le tri et d’être encore sensibles aux images?
Chaque nouveauté artistique est récupérée presque instantanément à des fins commerciales. Les publicités sont détournées et reprennent les codes artistiques pour se faire passer pour des images décalées et créatives. Finalement les véritables images artistiques, après avoir été récupérées, sont vidées de leur essence. »
L’affiche originale
Le détournement
Livio Bernardo, illustrateur
L’affiche originale
« J’ai choisi cette affiche ‘La police vous parle tous les soirs à 20h » comme support de référence car l’idée de non neutralité du mass media et du danger de son influence sur le libre arbitre est tout à fait actuelle selon moi. On échange simplement le pouvoir en place contre la finance et ses armes de communication massive. Alors vous me direz, c’est facile de taper sur Hanouna! C’est vrai… mais il faut un symbole, comme les caricatures de De Gaulle, du patron avec son cigare, du sombre CRS anonyme ou de Marianne qui peuplent les affiches représentatives de Mai 68. »
Le détournement
Lucille Clerc, illustratrice
Les originaux
Les détournements
« C’était le pavé balancé sur la France de 68, celle de L’ORTF, du pouvoir policier, des cadences infernales, des combats non médiatiques mais quotidiens de nos mères et de nos grand-mères pour se libérer du corset social et vivre leur vie de femmes, travailler, avoir un compte en banque, décider d’être mère ou pas, libres de leur corps et leur destin.
En 50 ans il est devenu un symbole, un héritage à chérir et protéger mais aussi un relais que l’on se passe de génération en génération.
‘C’était mieux avant’? Non c’était différent, c’était une autre France. Aujourd’hui il serait injuste de dire que rien n’a changé. Mais s’il a ouvert la porte aux luttes sociales, aux mouvements féministes et écologistes, il faut rester vigilant pour conserver les acquis et aller plus loin. L’esprit de Mai n’est pas mort, il a permis la liberté d’expression, il nous a donné à tous le pouvoir de monter des barricades sur la toile, de se réunir malgré les distances.
Les pavés se sont changés en hashtags mais les convictions sont bien réelles et les révoltes sont mondiales.
Naïf? Utopiste? Peut être, mais les barricadiers de Mai ne l’étaient ils pas eux aussi? Not in my name, Not Afraid, March for our Lives, Me too, Time’s Up, ces mouvements sont présents à la fois sur les réseaux et dans la rue avec une amplitude jamais vue. Les mentalités et l’establishment continuent d’être secoués et c’est là encore le signe prometteur que le collectif peut tout changer. »
D’autres détournements sont à consulter sur l’article originel du Huffington Post.
Un odieux recyclage publicitaire ?
Terminons par parler un peu de pub puisque c’est tout de même la raison d’être de ce blog ! L’affiche ci-dessous reste comme une des plus célèbres sérigraphies de Mai 68. Le CRS est un SS, ses traits son effrayants…
E-Leclerc (2010)
Polémique assurée. E-Leclerc a le culot de recycler ce symbole en 2010 pour se placer comme le pourfendeur du pouvoir d’achat !
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