Le phénomène d’autopromotion : la mise en abyme publicitaire chez Tintin

L’autopromotion de Tintin :

Si la mise en abyme est surtout utilisée à des fins narratives dans les films, livres et pièces de théâtre pour décrire une histoire à l’intérieur d’une histoire, il est aussi parfois utilisé à des fins publicitaires.

Dans cet article, nous étudierons l’autopromotion de Tintin (vision de l’album « Tintin en Amérique » dans « Les cigares du pharaon »)

Replaçons nous dans le contexte :

Nous sommes en 1934. Tintin continue son exploration méthodique de la planète. Après la Russie, le Congo et l’Amérique, le voici qui se tourne vers l’Orient pour une nouvelle aventure. Hergé désire en effet ajouter un élément de mystère.

Notre héros s’est fait capturer par un Sheik passablement énervé et s’apprête à passer un mauvais quart d’heure. Lorsque Tintin lui révèle son identité, celui-ci change radicalement de posture et se montre finalement très chaleureux. Véritable Deux ex machina, le Sheik est un effet un fidèle lecteur des aventures de Tintin. Il permet au lecteur de s’incarner dans son personnage pour témoigner à Tintin son admiration. Un serviteur vient lui présenter un album de ses aventures. Il est intéressant de constater que l’album est plus tourné vers nous que vers Tintin.

Dans la version de 1934, l’album présenté est « Tintin en Amérique », l’aventure précédant chronologiquement « les cigares du pharaon ». Il s’agit donc d’un rappel au lecteur. Le message subliminal pourrait être : « Toi qui lit cette BD et qui l’apprécie, vérifie que tu possède bien la précédente ! ». Tintin voit bien la BD que lui présente le serviteur mais ne semble pas être spécialement étonné. Pourtant, Tintin a beau être reporter, nous ne l’avons que très rarement vu écrire un article ou prendre des photos. Il est donc impossible qu’il ait publié ses aventures.

En 1955, Hergé entreprend la refonte de l’album lors du passage à la couleur. Outre le tapis, l’os dans la bouche de Milou et le visage de Tintin crachant son thé, la  modification la plus intéressante est certainement le changement de la BD présentée par le serviteur. Voulant sans doute respecter une logique chronologique, Hergé n’avait pas beaucoup de possibilités dans le choix de l’album à publiciter.

Les seuls albums parus avant « les cigares du pharaon » sont :

• Tintin au pays des soviets (1929) : toute première aventure de Tintin, n’ayant pas connu de réédition couleur car les mœurs avaient bien évoluées entre temps.
• Tintin au Congo (1931) : bien que très controversée (et encore plus depuis peu), cette aventure a connu une réédition couleur en 1945.
• Tintin en Amérique (1932), qui était déjà la BD présentée dans l’édition originale

Le choix s’est donc logiquement porté sur Tintin au Congo.

Dans la réédition de 1964 (dont j’ignore la raison officielle, si quelqu’un la connaît, qu’il n’hésite pas à poster un commentaire), nous assistons à un surprenant paradoxe temporel ! N’ayant plus la possibilité d’afficher un album paru à une date antérieure du « cigare des pharaons », Hergé prend la liberté de nous montrer « Objectif lune », paru en 1953. D’autres aventures ont certes vu le jour entre 1953 et 1964 mais « Objectif lune » est certainement la plus futuriste. Le paradoxe temporel est d’autant plus grand ! (Rappelons que les 1ers hommes n’ont posé le pied sur la lune qu’en 1969 !). Heureusement que Tintin n’aperçois pas l’album de ses futures aventures lunaires ! Imaginez quelle serait sa réaction en se voyant confronté à son propre futur !

Milou, par contre, le voit très bien. Cela nous revoie à l’album « Vol 714 pour Sydney », où tous nos héros se font enlever par des extra-terrestres et effacer la mémoire, à l’exception de Milou qui se dit intérieurement « Ah ! Si je pouvais raconter tout ce que j’ai vu ! … Mais on ne me croirait pas. »

Un commentaire (+ajouter le votre ?)

1. Jorge Macieira - 29 Nov 2012 à 14:32:22

   J’ai demandé parmi les AdH portugais s’il savaient la raison d’être du changement d’album et un d’eux ma fait remarquer que le Congo a achevé sa indépendance en 1960 avec tous les problèmes de ce qu’il se passait la bas. A Hergé voulu s’éloigner de l’image d’ancien colonialiste ?
   petit post scriptum – il y a une quatrième version de cette case, celle qui a apparu a « O Papagaio » (Le Perroquet), nº 124 en 1937, déjà en couleurs (première mondiale de Tintin en couleurs) le Scheik Patrsh Pasha lisait…. « O Papagaio » (info offerte par José Azevedo Menezes auteur d’un étude sur « O Papagaio » déjà en troisième édition a paraitre).

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